Exposition "Iconologie continentale"
Buenos Aires
Christine Frérot
Pour ces artistes africains, asiatiques ou latino-américains
installés loin de leur pays d'origine, la question de l'art
peut devenir -avec plus ou moins d'intensité-, un défi
existentiel et culturel vital. Après les exils de Wifredo
Lam, Zao Wou Ki ou Joaquin Torres-Garcia, l'expérience
des deux mondes est à la fois symbôle et révélation,
comme chez le chinois Chen Zhen ou le cubain José Bedia.
Autant d'eux-mêmes que de la création qui les porte,
autant d'un je individuel que d'un nous rassembleur et collectif.
Lorsque le déracinement est aussi un symptôme familial
-Ruth Gurvich vient d'une famille russo-polonaise installée
en Argentine depuis deux générations- il se peut
que l'artiste construise son ordre personnel pour se situer dans
le monde et comprendre le pourquoi de ce rapport rendu complexe
par les allers et retours de son histoire. Ce travail sur la mémoire
et le temps qu'elle développe depuis plusieurs années
s'inscrit dans une recherche autant de soi que de sa relation
aux autres, dans un langage artistique subtil dont la matérialité
fragile est un gage tangible et symbolique.
Chez elle, l'art est là pour marquer ce désir de
dépassement, pour témoigner de la brièveté
des choses, de leur caractère à la fois récurrent
et passager. La contradiction devient alors le ressort d'une construction
d'abord mentale, puis matérielle et esthétique,
dont l'objet écrasé est le signe ou l'effet. L'objet
choisi, qu'il soit fauteuil et chaise, ou porcelaine chinoise
et japonaise, ne l'est pas par intérêt pour sa forme
ou sa seule beauté. Il n'est que le prétexte d'une
prise de parole, il est n'est que le support -toutefois symbolique-
d'une réflexion sur les prégnances qu'induisent
l'histoire, la famille, la culture et leur cortège de codes,
dans la personnalité ou le comportement. Ce qui est dit
ailleurs en termes d'anthropologie culturelle ou psychologique
n'est pas démenti ici en termes artistiques. Mais Ruth
Gurvich, en brisant l'apparence des choses, en réduisant
l'objet à une version à la fois différente
et proche de lui-même, veut questionner non seulement sa
forme mais le fond du contexte et de l'histoire qui permet à
cet objet d'exister dans le temps, avec ses constantes, ses différences
ou ses variations. Cette "iconologie continentale" à
laquelle elle fait allusion, ce sont ses propres images qui de
l'enfance à l'âge adulte, sont aussi les marques
indélébiles de ses expériences du quotidien,
de son état d'existence sur le temps.
J'écrivais en 1999 que "les manipulations qu'elle
opère sur les fauteuils et les chaises de Marcel Breuer
et de Le Corbusier, inébranlables emblèmes de la
modernité, introduisent une multiplicité de références,
d'allusions, de mémoires ; mais si la distorsion du réel
qui les affecte est du ressort de l'éphémère,
c'est pour mieux générer le principe de virtualité
qui sous-tend l'aspect le plus ludique de son travail créateur".
On retrouve aujourd'hui la même préoccupation dans
les travaux sur la porcelaine qui cotoyent les fauteuils et les
chaises écrasés.
En taille réelle, volume incertain de papier blanc où
l'artiste intervient avec quelques motifs peints, posé
à même le sol ou rangé sur une étagère
comme un objet décoratif, la "porcelaine" d'inspiration
chinoise ou japonaise est froissée ou écrasée.
L'artiste affronte non seulement un matériau et l'espace,
mais aussi un symbole. La porcelaine, "c'est fragile, c'est
délicat, c'est creux", dit-elle. "Il y a l'idée
du féminin". Et elle ajoute :"On mange et on
boit avec ça depuis des siècles". Alors, si
la porcelaine est à la fois un symbole de la féminité,
si elle est chargée de statut, si son "poids"
social et culturel est pérenne, tout ce sens doit être
décodé par l'artiste comme si elle voulait extirper
et évacuer l'idée un peu figée que l'on s'en
fait en Occident. Mais en voulant se défaire du sens, elle
en construit ou en invente d'autres et créée une
nouvelle codification, bien personnelle celle-là, que les
femmes japonaises qui pleurent, les dragons qui se mordent la
queue, les lions qui se battent ou les entrelacs floraux et les
grecques, illustrent tout en les interrogeant. Le motif dans son
objet est aussi pour elle un chemin qui doit ouvrir à la
compréhension ; elle exprime d'ailleurs cette idée
par une métaphore en disant qu'il est comme "un filet
qui attrape". Donc rien n'est gratuit, motif ou forme, tout
est réinventé après avoir été
mûrement étudié et documenté.
Ce qui fonde le lien avec les autres éléments
présents dans l'exposition, ce qui fédère
leur relation dialectique, c'est ce désir d'analyse symbolique
des différentes cultures et de leur présence invisible
dans l'inconscient culturel collectif et individuel. Le travail
sur le jardin à la française qui présente
un labyrinthe tracé, réellement arraché à
la peau de son support de velours vert, fait partie de ce qui
pourrait être le (son) "paysage". Les fragments
de "parquets" marquettés sont pour l'artiste
la référence à une valeur sécurisante
de nos (ses) acquis culturels et sociaux absorbés, digérés.
Si ces exercices de sens interviennent comme des citations à
l'ample signification, la porcelaine relève pour elle de
l'intime. Privé et public, relief (ou volume) et espace
plat. Ruth Gurvich joue sur ces deux registres d'espace opposés
dans le but de les réunir, pour en faire les signes d'un
ensemble intellectuellement cohérent, chaque chose faisant
partie d'un tout qui est sa réflexion fondamentale et qui
a à voir, dans la métaphore, avec les concepts de
fragilité et de permanence des choses. L'espace-temps domine
toujours l'articulation sensible et conceptuelle de son oeuvre.
Quant au papier comme médium, elle ajoute : "C'est
une décision par rapport à la peinture. C'est mon
parti, le papier, pour me représenter le monde".
En fin de compte, tout est l'effet d'une problématique
personnelle liée à sa propre histoire et participe
autant d'une recherche de racines que de la formation d'une identité
en révolution permanente. Mais comme le concevait le peintre
uruguayen Joaquin Torres Garcia, dans le but de proposer des icônes
pouvant être reconnues par tous et rendre ainsi son art
à la fois personnel et universel. "Je me suis approchée
de ces objets comme prétexte à trascender des symbôles,
des codes, des archétypes, des emblèmes d'une culture
dominante. Mon choix n'est pas esthétique, c'est un choix
emblématique".
Representar el mundo
Exposición"Iconología continental"
Buenos Aires
Christine Frérot
Para aquellos artistas instalados lejos de sus países
de origen, la cuestión del arte puede convertirse -con
mayor o menor intensidad- en un desafio existencial y cultural
vital. Tras los exilios de Wifredo Lam, Zao Wou Ki o Joaquin Torres
Garcia, como hoy con el artista chino Chen Zen o el cubano José
Bedia, la experiencia de dos mundos es a la vez símbolo
y revelación, en cuanto a ellos mismos y a la creación
que los nutre, en cuanto a un yo profundo y un nosotros colectivo
El desarraigo como síntoma familiar -Ruth Gurvich viene
de una familia ruso-polaca instalada en Argentina desde hace dos
generaciones- hace que la artista construya su propio orden personal
para situarse en el mundo y comprender el por qué de esa
relación compleja motivada por las idas y vueltas de su
historia. El trabajo sobre la memoria y el tiempo que ella desarrolla
desde hace varios años, se inscribe en un lenguaje artístico
sutil, cuya materialidad frágil es un testimonio tangible
y simbólico.
Su arte marca ese deseo de análisis para atestiguar sobre
la pemanencia de las cosas, sobre su caracter recurrente. El se
convierte en el punto de partida de una construcción mental,
luego material y estética en donde el objeto aplastado
es el signo o el efecto. El objeto, ya sea una silla, una porcelana
china o japonesa, no es elegido por su interés formal o
su belleza. Es el pretexto para tomar la palabra, el fundamento
-simbólico- de una reflexión respecto al peso de
la historia, la familia, y la cultura con su cortejo de códigos.
Lo que es abordado en términos de antropología cultural
o psicológica no se desmiente en términos artísticos
Ruth Gurvich, quebrando la apariencia de las cosas, reduciendo
el objeto a una versión a la vez diferente y cercana de
si mismo, quiere cuestionar no solo la forma sino también
la permanencia de este a través del tiempo. Esta "iconología
continental" a la cual hace referencia, son sus propias imágenes
que desde la infancia representan las marcas indelebles de sus
experiencias de lo cotidiano
Encontramos la misma preocupación en las obras sobre la
porcelana que en las sillas aplastadas donde "la distorsión
de lo real que las afecta remite a lo efímero, para generar
el principio de virtualidad que determina el aspecto mas lúdico
de su trabajo creador". En tamaño real volumen incierto
de papel blanco, en el cual la artista interviene con motivos
pintados, la porcelana de inspiración china o japonesa,
arrugada y aplastada, esta apoyada sobre un estante como un objeto
decorativo. Ruth Gurvich afronta no solo la materia y el espacio
sino también el símbolo. "La porcelana es delicada,
es frágil, es una cavidad, dice la artista , es la idea
de lo femenino." Y agrega : "Desde hace siglos comemos
y bebemos en ella". Si la porcelana es a la vez un símbolo
de lo femenino, si su peso social y cultural perpetúa un
estatus, todos esos simbolos son descifrados para cuestionar la
concepción estereotipada que se tiene de ellos en Occidente.
Pero en su deseo por deshacerse de estos símbolos, ella
construye o inventa otros. Crea una nueva codificación
personal, con japonesas que lloran, dragones que se atrapan de
la cola, leones que pelean, tramas florales y grecas.Motivos que
ilustran e interpelan al mismo tiempo. Ella expresa esta idea
por una metáfora diciendo: « Las tramas florales
son como una red como una trampa » Nada es gratuito, motivo
o forma, todo es reinventado despues de haber sido largamente
estudiado y documentado.
El vínculo entre toda las obras presentes en la exposición
y que federa su relación dialéctica, es el deseo
de análisis simbólico de la presencia invisible
de la cultura en el inconsciente colectivo e individual. El trabajo
sobre los jardines a la francesa que presenta un laberinto arrancado
literalmente al soporte de terciopelo verde, es parte de lo que
podría ser el (su) "paisaje". Los collages de
pisos de parquet son la referencia a lo constructivo, a lo masculino.
La porcelana, evoca lo íntimo. Privado y público,
relieve (o volumen) y espacio plano. La artista juega con estos
dos registros de espacio opuestos con el objetivo de reunirlos
para crear los signos de un conjunto intelectualmente coherente.
Cada cosa forma parte de un todo que es su reflexión fundamental
y que se refiere metafóricamente a los conceptos de fragilidad
y de permanencia de las cosas. El espacio-tiempo sigue siendo
la articulación sensible y conceptual de su obra.
En cuanto al papel como medio, ella explica:"Es una decisión
con respecto a la pintura. Es mi partido, la construcción
en papel, para representarme el mundo". Así como lo
concebía el pintor uruguayo Joaquin Torres García
con el objetivo de proponer íconos que puediesen ser reconocidos
por todos y hacer su arte a la vez personal y universal. Ruth
Gurvich confirma "Me acerqué a esos objetos con el
pretexto de trascender símbolos, códigos, archetipos
de una cultura dominante. No es una elección estética,
es una elección emblemática". Al final de cuentas,
todo es el efecto de una problemática personal ligada a
su formación de una identidad en revolución permanente. |