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Les « chaises-peintures » ou la géométrie humanisée

[français - español]

Christine Frérot
Critique d’Art
Paris, juin 1999

Ruth Gurvich développe depuis des années un travail de recherche minutieuse. Autant formel que conceptuel, articulé sur une réflexion qui s'enracine dans une pluriculturalité expérimentale, maîtrisée et assumée. L'objet quotidien et fonctionnel est au centre de son interrogation. L'objet comme prétexte -objet de l'objet- et comme point de départ, mais aussi "effet" transformé ou transmuté d'un regard qui ne se veut ni totalement esthétique ni totalement anthropologique, mais avant tout question sur la relation plastique à l'espace. Les manipulations qu'opère Ruth Gurvich sur les fauteuils et les chaises de Marcel Breuer et de Le Corbusier, inébranlables emblèmes de la modernité, introduisent une multiplicité de références, d'allusions, de mémoires ; mais si la distortion du réel qui les affecte est du ressort de l'éphémère, c'est pour mieux générer le principe de virtualité qui sous-tend l'aspect le plus ludique de son travail créateur.

La qualité de permanence de la forme et la fonction de l'objet sont ébranlés par l'acte d'écrasement. Car si depuis 1995, l'artiste écrase, plie, tord, réduit, aplatit la matière préalablement construite (essentiellement papier et calque) en prenant pour modèles des archétypes comme la porcelaine chinoise, la voiture, la théière, la soucoupe et la tasse ou l'avion... -sans jamais faire disparaître l'objet-, c'est pour arracher à la banalisation du quotidien l'esprit de ces emblèmes culturels qui sont autant de références au temps, à la société technologique et au design. Dans cette métamorphose où l'objet-témoin garde son identité première, Ruth Gurvich nous conduit vers une lecture qui permet à l'objet d'exister dans une superposition de sens.

Dans le même esprit et avec la même cohérence depuis 1993, son travail sur les archétypes culturels du quotidien l'a amenée progressivement de la peinture à un travail plus physique -par le froissement et le déchirement du papier- où la relation au matériau est aussi d'ordre kinésique. Il existe là un véritable labeur du faire, presque artisanal. Mais le dessin et la peinture n'ont pas été délaissés et la picturalité -même sommaire- est un élément permanent constitutif de sa démarche. Il ne s'agit pas non plus d'un projet de destruction, mais d'une reconsidération de la fonction symbolique de l'objet par la reconstruction d'une nouvelle image en partant de l'image originelle.

L'installation présentée dans cette manifestation sous le titre "Relacion de conjuntos" propose une interprétation du concept des séries, des ensembles, des doubles et de leur rapport dialectique et de miroir. Elle introduit également une réflexion sur la corrélation entre multiplication et anonymat. Trois groupes d'objets (papier, peinture et structure intérieure) se répondent : une série de chaises blanches, adossées au mur, en taille et volume "réel", sans accoudoirs ; une série de fauteuils noirs (l'un en volume, deux canapés en vues frontale et latérale, à échelle réelle) appuyés au mur ; une dernière série de chaises noires et "chromées", en papier à échelle réelle, écrasées distinctement et accrochées au mur. Un ensemble qui est à la fois évocation d'une conversation imaginaire, mais aussi de l'absence de communication. Si les chaises sont, pour l'artiste, des sortes de "personnages", la chorégraphie d'enlacements qui les unit n'en fait pas moins des orphelins de la présence de l'homme et du corps. On trouve pourtant de la tendresse et de l'humour dans cette métaphore du dialogue des absents.

Rien n'est l'effet du hasard dans une dislocation-restructuration qui a à voir avec l'esprit constructif du Rio de la Plata. Artiste contemporaine, Ruth Gurvich possède néanmoins le langage de son temps. La dimension graphique cotoie une néo-plasticité qui rappelle Mondrian ; mais cette apparente "froideur" cohabite avec l'esquisse d'une fêlure, quand la géométrie, bizarrement, se casse, devient liquide et se fait tache. Le désordre s'inflitre alors dans l'ordre et Ruth Gurvich atteint cette humanité, qu'imperturbablement, elle s'attache à défier.

Las « sillas-pinturas » o la geometria humanizada

Christine Frérot
crìtica de arte
Paris, junio de 1999

Desde hace algunos anos, Ruth Gurvich desarrolla un trabajo de investigaciòn minuciosa; tanto formal como conceptual, articulado sobre una reflexiòn que se arraiga en una pluriculturalidad experimental, dominada y asumida. El objeto cotidiano y funcional està en el centro de su interrogaciòn. El objeto como pretexto -objeto del objeto- y punto de partida, pero tambien transformaciòn o transmutaciòn de una mirada que no se pretende ni totalmente estètica, ni totalmente antropològica, pero sobre todo una pregunta sobre la relaciòn plàstica al espacio. Las manipulaciones efectuadas por Ruth Gurvich sobre los sillones y las sillas de Marcel Breuer y de Le Corbusier -emblemas irrefutables de la modernidad- introducen una multiplicidad de referencias, de alusiones, de memorias. Si la distorsiòn de lo real que los afecta remite a lo efìmero, es para mejor generar el principio de virtualidad que determina el aspecto mas lùdico de su trabajo creador.

La calidad de permanencia de la forma y la funciòn del objeto se encuentran fragilizadas por el acto de aplastar. En efecto, si desde 1995 el artista aplasta, dobla, tuerce, reduce, aplana la materia previamente construida (esencialmente papel y calco),tomando como modelos los arquetipos como la porcelana china, el auto, la tetera, la taza y el plato o el aviòn. . . -sin jamàs hacer desaparecer el objeto-, es para arrancar de la banalizaciòn de lo cotidiano el espìritu de estos emblemas culturales que son tambien referencias al tiempo, a la sociedad tecnològica y al diseno. En esta metamorfosis en la cual el objeto-testigo guarda su identidad original, Ruth Gurvich nos conduce hacia una lectura que permite al objeto existir en una superposiciòn de sentidos.

Desde 1993 dentro del mismo espìritu y con la misma coherencia su trabajo sobre los arquetipos culturales de lo cotidiano la ha llevado progresivamente de la pintura hacia un trabajo « mas fìsico» a travès del plegado y del ordenamiento del papel. En esta relaciòn a la materia de orden kinèsico, existe una autèntica labor del hacer, de tipo casi artesanal. El artista no ha renunciado al dibujo ni a la pintura, y la picturalidad -aunque somera- es un elemento permanente constitutivo de su proyecto conceptual y plàstico. No se trata de un proyecto de destrucciòn sino de una reconsideracion de la funciòn simbòlica del objeto por la reconstrucciòn de una nueva imagen partiendo de la imagen original.

La instalaciòn presentada en esta manifestaciòn bajo el titulo de Relaciòn de conjuntos, propone una interpretaciòn del concepto de las series, de los conjuntos, de la dualidad y de su relaciòn dialèctica y de espejo. Tambien introduce una reflexiòn sobre la correlaciòn entre multiplicaciòn y anonimato. Tres grupos de objetos (papel, pintura y estructura interior) se responden: una serie de sillas blancas apoyadas contra la pared, en tamano y volumen « real », sin apoyabrazos; una serie de sillones negros (uno en volumen y dos vistos frontal y lateralmente, a escala real) apoyados contra la parted; una ùltima serie de sillas negras y « cromadas », en papel, a escala real, aplastadas de distintas maneras y colgadas en la pared. Un conjunto siendo a la vez evocaciòn de una conversaciòn imaginaria, pero tambien de la ausencia de comunicaciòn. Para el artista, las sillas son como « personajes», pero la coreografìa que las entrelaza no impide que parezcan huèrfanas de la presencia del hombre y del cuerpo. Sin embargo, hay ternura y humor en esta metàfora del diàlogo de los ausentes.

Nada està librado al azar en esta dislocaciòn-re-estructuraciòn que tiene que ver con el espìritu constructivo del Rio de la Plata. Artista contemporànea, Ruth Gurvich posee sin embargo el lenguaje de su tiempo. La dimensiòn gràfica avecina una neo-plasticidad que recuerda a Mondrian; contrarestando esta aparente frialdad, emerge el comienzo de una fisura, la geometrìa se rompe, se vuelve lìquido y se hace mancha. Entonces el desorden infiltra el orden y Ruth Gurvich alcanza esa humanidad que desafia, imperturbablemente.

(traducido del francès)